Les enfants d’Alep redessinent l’avenir de leur ville
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Le reportage qui suit a été publié par Enab Baladi le 5 septembre 2015. Des journalistes sont allés à la rencontre de très jeunes talents syriens vivant dans les quartiers libérés de la ville d’Alep et qui ont voulu par le dessin et les arts plastiques dépasser un quotidien particulièrement difficile.
Des maquettes en papier et des caricatures redonnent espoir en une génération syrienne consciente
Enab Baladi – Alep
«Je me suis beaucoup ennuyé, avec la routine qui s’est installée depuis que je me suis éloigné de chez moi. Alors, j’ai commencé à fabriquer des maquettes, dans l’espoir que cette activité me sorte du climat de dévastation ambiant et qu’elle m’insuffle de l’optimisme ».
Mohamed Qatish, un jeune alépin de 14 ans, est parti de chez lui au début du soulèvement. Il a choisi pour refuge la maison de son grand-père après que son quartier, Sayf Ad-Dawla, a été frappé et s’est transformé en un champ de guerre. Puis, il rentra de nouveau au domicile familial après neuf mois pour y rester avec les siens. Entre-temps, il s’était découvert un nouveau talent.
Des maquettes en papier représentant la ville d’Alep après la guerre
Avec des outils rudimentaires, du papier, de la colle et des crayons de couleur, Mohamed construit des maquettes d’immeubles résidentiels, de bâtiments publics et de quartiers entiers de la ville d’Alep. C’est ainsi qu’il se représente l’avenir de sa ville, meurtrie par la guerre.
Au début, Mohamed a essayé de fabriquer des bâtiments reproduisant son quartier : « J’ai senti que je pouvais faire plus, alors j’ai décidé de fabriquer une grande maquette de la ville d’Alep et en effet, je l’ai réalisée».
Dans sa maison, Mohamed a organisé une exposition regroupant ses maquettes vers la fin du dernier semestre scolaire et jusqu’aux vacances d’été. Ce fut un succès, selon ses dires, et les habitants du quartier sont venus lui rendre visite, ainsi que des figures médiatiques connues.
Enab Baladi est allé à la rencontre de ce jeune garçon, dans le cadre de son exposition. Il nous a précisé que l’idée était d’attirer l’attention sur le fait que les enfants d’Alep pouvaient vivre dans leur ville et planifier l’avenir de celle-ci, malgré les frappes, la destruction et le ravage.
La première exposition a regroupé des maquettes en papier de la ville d’Alep, représentant logements et établissements, selon la vision de Mohamed de ce que sera sa ville après la fin de la guerre. Mais dans sa deuxième exposition (fin août dernier) il a utilisé du carton kraft pour remplacer le papier. Ainsi la taille des bâtiments et leur superficie s’en trouvèrent plus harmonieuses et leur formes plus belles et plus précises.
De nouveaux bâtiments qu’il n’avait pas exposés la première fois ont été conçus de manière différente, avec des maisons aux abords de la ville dans des banlieues qu’il a imaginées, ainsi que d’autres services essentiels comme un aéroport civil qu’il a conçu.
Mohamed a également ajouté dans son exposition des éléments vivants rappelant la réalité de la guerre à Alep, comme les obus d’artillerie et ogives de missiles qui ont détruit les maisons. Il a également représenté les frappes d’armes à feu qui ont laissé leurs marques sur les murs des bâtiments et dans les rues. Le garçon ne s’est pas limité à ajouter ces éléments. Il a voulu envoyer un message clair au monde entier, aussi a-t-il écrit sur ses maquettes des phrases comme : « Cette frappe a détruit ma maison. Celle-là a tué mon professeur… »
Mohamed nous a expliqué sa méthode de travail dans le cadre de l’exposition actuelle, et nous a décrit les détails des maquettes inspirées de sa ville.
“Bâtir la Syrie moderne est notre responsabilité”
Le père de Mohamed a été le premier à le soutenir dans son travail, en lui fournissant les outils nécessaires à la fabrication comme le papier, les couleurs et la colle. Il a souligné que la peur des frappes a obligé son fils à rester à la maison de manière permanente et c’est sans doute ce qui l’a aidé à s’intéresser davantage à son travail et à trouver différentes idées pour son exposition.
Le père a considéré que l’œuvre de son fils était un grand exploit pour un enfant de son âge. Il se dit toutefois inquiet pour son avenir. “Il n’avance pas dans ses études, à cause des circonstances actuelles”, précise le père.
La première exposition n’était qu’une petite expérience, selon le père qui a expliqué aux journalistes de Enab Baladi que Mohamed avait appris de ses erreurs et changé radicalement ses méthodes de travail. La deuxième exposition est donc “plus précise et plus réaliste, car Mohamed a eu à sa disposition de meilleurs matériaux. C’est pourquoi, je suis très optimiste”, dit le père, “mais je veux qu’il poursuive son éducation, pour pouvoir justement développer ce don et servir son pays”.
Le père aimerait voir son fils participer à des expositions de plus grande envergure. “Les enfants sont l’avenir, que ce soient Mohamed ou d’autres enfants. Il faut les soutenir dans ces circonstances difficiles et leur apporter tout notre soutien psychologique”.
Mohamed a voulu s’adresser à tout enfant syrien ayant du talent. Il faut développer ces dons, selon lui, car c’est à la nouvelle génération qu’il incombera de bâtir une Syrie moderne. Le jeune garçon a dit avoir de grandes ambitions pour son avenir.
“Au début de la Révolution, j’allais régulièrement chez mon grand-père. Mais cela fait longtemps maintenant que je n’y suis plus retourné, car il vit dans une zone contrôlée par le régime. J’espère que je verrai bientôt mes grands-parents pour leur montrer mes maquettes. Je suis sûr que ça leur fera plaisir”.
Quand les roquettes donnent naissance à des artistes
Un autre talent alépin est né, en plein coeur du conflit: il s’agit du jeune Mohamad al Aqraa, âgé de 12 ans. Mohamad dessine des caricatures sur la guerre en Syrie et sur le niveau de vie qui ne cesse de se détériorer dans sa ville. Certains de ses dessins sont inspirés d’oeuvres d’artistes célèbres, d’autres sont le fruit de son imagination.
Au début de la Révolution, Mohamad n’aurait jamais pensé que le régime d’Al Assad bombarderait sa maison. Mais il dit avoir vu le régime tuer des manifestants sans défense, et puis s’attaquer à sa maison, ce qui obligea sa famille entière à fuir les lieux.
Un mois après que la famille s’est déplacée, la maison était totalement détruite. “J’y ai laissé de beaux souvenirs, des moments chers à mon coeur. Beaucoup de mes dessins se sont perdus, mais je vais les reproduire à nouveau, et je développerai ce don”.
Lorsque nous avons rencontré ce jeune garçon, il nous a précisé que c’était son père qui l’avait encouragé sur la voie des caricatures, pour “l’humour et la dérision qu’elles comportent”, et aussi parce que c’est une forme d’art “engagé qui permet de mettre en lumière les crimes du régime syrien, et les liens qu’il entretient avec la Russie, l’Iran et la Chine”, d’après les dires du jeune Mohamad.
Le jeune garçon nous a décrit ses débuts d’artiste amateur. Il nous a expliqué certains de ses dessins et nous a parlé de ses ambitions pour l’avenir:
“Je ne peux pas exposer mes oeuvres”
Mohamad n’a pas pu organiser une exposition afin de faire connaître ses oeuvres et ses idées au public. “Je ne peux pas exposer mes oeuvres”, dit-il, “d’abord, pour des raisons matérielles, mais aussi car je ne peux pas garantir aux invités un lieu sûr où ils pourraient venir voir mes dessins. Les attaques sur notre quartier ne s’arrêtent jamais”. D’après le père de Mohamad, la Révolution aurait eu un impact très important sur son état d’esprit et sa conscience, lorsqu’il a vu que le “régime l’avait privé de sa maison, et avait aussi privé son père de son travail”
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D’après lui, l’un des objectifs de son fils, c’est d’aider les autres enfants en leur redonnant le sourire. Plusieurs de ses amis ont apprécié ses oeuvres et viennent parfois l’observer lorsqu’il dessine. Certains ont aussi voulu développer leurs dons en calligraphie et dans les travaux manuels, car ils le voient véritablement comme un modèle à suivre.
La guerre en Syrie a eu un impact dévastateur sur la vie des enfants qui vivent dans une peur quotidienne. Au moins 2200 enfants sont morts depuis le début de l’année, d’après les données publiées par le Réseau syrien des droits de l’homme, le 4 septembre 2015.
Malgré cette tragédie, certains enfants, tels que Mohamed Qatish et Mohamad al Aqraa ont faire face à ces circonstances difficiles grâce à leurs dons. Ils n’ont pourtant que des moyens modestes à leur disposition, mais ils encouragent d’autres enfants à suivre leur exemple, afin de bâtir l’avenir de leur pays.
Enab Baladi (Les Raisins de mon pays) est un périodique syrien créé par de jeunes femmes et hommes de Darayya (campagne de Damas), afin de répondre au besoin de créer des médias indépendants qui reflètent les changements sur le terrain en Syrie et renforcer le mouvement civil et pacifique dans ce pays. Le choix du nom, Raisins de mon pays, n’a rien d’étonnant, lorsque l’on sait que Darayya est célèbre pour ce fruit. Comme d’autres nouveaux médias syriens, Enab Baladi a voulu contribuer à mettre fin au monopole imposé depuis plus de quatre décennies par les régimes Assad (père et fils); sur le domaine de la communication. Ce périodique bihebdomadaire couvre des sujets sociaux, politiques, économiques et culturels.
Translated into French by: francetvinfo.fr
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